Parmi les centaines de débats pendant les trois jours de la fête de l'Humanité, coup de projecteur sur celui qu'organisait samedi après midi le secteur Droits et liberté du PCF et qu'accueillait le stand de la fédération des Hauts-de-Seine du PCF.
Animé par Emilien Urbach, journaliste à l'Humanité, il a rassemblé Armelle Gardien, de RESF, et des lycéens, Denis Renard, secrétaire de l'Union départementale des syndicats CGT 92, Bernadette Hétier, co-présidente du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples, Fabienne Haloui, membre de l'exécutif national du PCF, Elisabeth Cazenave, du Parti de Gauche, Jean-François Pélissier, animateur
d'Ensemble au Front de gauche et conseiller régional d'Île-de-France, des délégués de la Coordination Nationale et du Collectif 93 des Sans Papiers...
Je vous invite à écouter l'enregistrement "life" du débat (malgré sa médiocre qualité technique), illustré par des photos, et à lire l'intervention préparée pour le réseau Migration-citoyenneté du PCF 92, que j'ai beaucoup raccourcie à l'oral, pour ne pas répéter des choses dites ou qui allaient être dites, et pour ne pas dépasser un dizaine de minutes.
Mon intervention dans sa version écrite intégrale :
« Pour régulariser les sans-papiers, la loi doit
changer ! » : le titre de notre rencontre est inspiré de
banderoles et de slogans repris dans des manifestations, à Paris et en
province, encore et toujours depuis 2012, comme depuis la sortie de l’ombre des luttes des sans-papiers, il y a
18 ans, que commémore chaque année la marche jusqu’à l’église Saint-Bernard à
Paris.
En 2012, la droite a été chassée du pouvoir par les électeurs,
mais pas sa politique, qui se perpétue, avec un président et des gouvernements
successifs qui prétendent que leur politique désastreuse serait la seule
possible.
Faute de perspective collective progressiste, solidaires, le
repli sur soi, la recherche de boucs émissaires, les fantasmes d’invasion, de « remplacement »
de la population et de l’identité nationale par des immigrés, se diffusent. La
montée présentée comme irrésistible du Front national, la banalisation du
racisme, sous toutes ses formes, de la xénophobie, des phobies violemment hostiles à l’égalité de tous les êtres humains, en
dignité et en droit, empoisonnent le climat politique et les rapports sociaux, la vie quotidienne.
Pas plus que sur les questions économiques et sociales,
l’application du programme du MEDEF ne fera descendre la courbe du chômage, pas
plus, au contraire, les reculades face à la droite et au FN sur les questions
de droits et libertés, d’égalité, de politique de l’immigration, ne
permettront de sortir de la crise... Refuser
la mort de la gauche, c’est résister et construire une alternative, sur
l’ensemble des questions, qu’il ne s’agit pas de hiérarchiser. Toutes sont
interdépendantes, toutes sont cruciales, pour décider dans quelle société, dans
quelle civilisation, dans quelle Europe, dans quel monde nous voulons vivre.
Inhumanité, c’est le premier mot qui vient pour
caractériser le traitement des migrants et réfugiés.
Nous avons tous en tête, pour s’en tenir à ces derniers mois
et aux évènements médiatisés :
-
La
mort de centaines, de milliers de personnes dans la Méditerranée ou ailleurs,
dans les eaux ou devant les murs et les portes closes de l’Europe forteresse,
alors qu’ils cherchaient refuge en quittant leurs pays ravagés par les guerres
ou les dégâts des plans d’ajustement structurels au service des multinationales
-
La
destruction des abris et du travail solidaire des associations pour les
réfugiés empêchés d’aller en Angleterre, coincés à Calais et victimes de répression policière,
de violences racistes
-
La
mort d’un ressortissant algérien père d’un enfant né en France, pendant une
tentative d’embarquement de force par la police ; et combien d’autres vies
en danger parmi ceux qui sont enfermés dans les Centres de Rétention
Administratifs ?
-
Le
refus de régulariser les jeunes majeurs scolarisés et les tentatives pour les
expulser
-
La
lutte pour leur régularisation de travailleurs et travailleuses sans papiers,
contre les patrons qui les surexploitent et puis les jettent, et les préfectures qui refusent parce qu’ils
n’ont pas de contrat, de fiches de paie, ou de trop petits salaires…
-
La
tentative de faire condamner un prêtre de Saint-Etienne parce qu’il abrite des
demandeurs d’asile pour lesquels rien n’est fait par les services de
l’Etat…quand même un note positive : le tribunal l’a relâché !
-
Sans
oublier le sort révoltant fait aux Roms, qui ne sont pas des sans-papiers, mais
des citoyens Européens, parmi les plus pauvres, des familles, des enfants victimes
du racisme et des discriminations, chassés, comme avec Sarkozy, de bidonvilles
en « camps ». D’autres rencontres sont organisées sur la fête,
notamment autour du livre « Roms et riverains, une politique municipale de
la race ».
Depuis 2012, l’idée que
la loi doit changer était dans l’air. Mais le débat parlementaire a été sans cesse reporté, Manuel
Valls préférant agir par ordonnances, circulaires. La fameuse circulaire de novembre 2012 se présentait
comme donnant des possibilités d’admission exceptionnelle au séjour aux préfets
sous la pression des luttes des TSP et de RESF…mais elle ne concerne qu’une
petite minorité de personnes, et son interprétation en préfecture devient de
plus en plus restrictive dès que les grèves et les rassemblements cessent. Parallèlement,
des rencontres avec des associations ont eu lieu, un débat sans vote au Sénat
s’est tenu sur l’immigration des travailleurs et des étudiants, des rapports
ont été publiés, dont le rapport de Mathias Felk, qui reprenait quelques
critiques sur l’accueil en préfecture, la détention administrative, sur les
recours juridiques, et proposait une mesure phare : un titre de séjour
pluriannuel. Il était déjà clair que l’on allait vers un simple replâtrage du Code d’Entrée et du Séjour des Etrangers et du
Droit d’Asile (CESEDA), en gardant la même ligne fondamentale que la version
Sarkozy de 2006. Quelques facilitations
pour une immigration choisie de personnes très qualifiées, cadres,
chercheurs, créateurs d’entreprises, étudiants à BAC + 5…. estimées utiles à
l’économie, au rayonnement de la France, et des facilitations pour refuser le
droit au séjour ou expulser toutes les autres, comme immigration subie ou comme
immigration clandestine. Quelques mots avaient changé, mais sur le fond très
peu de choses, et rien du tout pour la
régularisation des sans-papiers présents !
Le projet de loi
gouvernemental présenté en conseil des ministres est encore pire. Le GISTI en a fait une étude
critique très complète. Je donne quelques exemples de régressions, dont certaines
ne sont même plus camouflées par l’enfumage des mots. L’obsession de la lutte
contre l’immigration dite clandestine est omniprésente.
La partie consacrée aux
mesures d’éloignement
a l’air d’ une acrobatie juridique pour se conformer aux directives européennes
en en gardant le pire et en évitant de se faire réprimander par la CE, voir
condamner par la cour de justice européenne. Ainsi, la directive de 2008, dite
directive « retour », est instrumentalisée pour lier systématiquement
OQTF et interdiction de retour. Avec un alinéa précisant que les demandeurs
d’asile déboutés sont parmi les premiers concernés, avec un délai de recours
contentieux réduit pour eux, et quelques autres, à 7 jours.
Et une des grandes nouveautés, c’est que les étrangers
ressortissants de pays tiers à l’UE ne sont plus les seuls visés. Un nouvel article
est destiné à « répondre plus efficacement
aux situations dans lesquelles un citoyen de l’UE ou un membre de sa
famille abuse de son droit de libre circulation » : l’OQTF (Obligation
à quitter le territoire français) sera assortie d’une interdiction non
seulement de retour, mais aussi de circulation sur le territoire français
pendant trois ans. Les Roms sont évidemment les premiers visés.
Plus question de réduire la durée d’enfermement en CRA (centres
de rétention administrative), encore moins d’en remettre en cause le principe,
ni de rétablir le délai d’intervention du JLD (juge des libertés et de la détention)
avant le passage au TA (tribunal administratif). Juste un vœu que l’assignation
à résidence soit préférée par les tribunaux. Mais c’est aussitôt pour anéantir
l’inviolabilité du domicile : l’autorité administrative (avec autorisation
du JLD, et un recours, non suspensif, en appel) pourra requérir les
services de police et de gendarmerie aux
fins d’intervention à domicile pour
l’exécution de la mesure d’éloignement. Et ce sera encore plus simple pour
mener sous escorte un étranger sous OQTF aux autorités consulaires du pays dont
on pense qu’il est originaire afin qu’il y soit réadmis.
Les pouvoirs de l’autorité administrative, les reculs des
droits des personnes seront encore plus violents outre-mer, dans les
territoires où, est-il écrit, l’intensité de la pression migratoire justifie
des mesures dérogatoires au droit commun.
Et pas question de paraître plus laxiste que la droite pour la
répression :
« Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté
de se soustraire à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France, d’un
arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière, ou d’une OQTF,
ou qui, expulsé ou ayant fait l’objet d’une interdiction de circulation sur le
territoire français, aura pénétré de nouveau en France, sera puni d’une peine
de 3 ans d’emprisonnement »
Pour les dispositions
d’accueil et séjour des étrangers, les conditions de délivrance de titres de
séjour, deux axes : tenter de rendre la France
attractive pour une immigration choisie de talents et compétences, renforcer le
contrôle individuel permanent par les préfectures.
Pour avoir droit au séjour, il faudra non seulement avoir
obtenu un visa long séjour, mais aussi satisfaire aux dispositifs
renforcés d’un contrat d’accueil, passant
par l’assiduité aux prestations prescrites dans le cadre du parcours
individualisé (connaissance de la langue, des droits et devoirs de la
République, de la société française…). Pour pouvoir prétendre à un titre
provisoire d’un an, puis éventuellement à une carte pluriannuelle. Mais ce ne
sera pas la même carte pour tout le monde. Elle ne sera valable que 2 ans au
titre de la vie privée et familiale. 4 ans pour un salarié en CDI. La durée du
contrat pour un salarié en CDD. En cas d chômage, un an puis la durée
(éventuelle !) des indemnités. La durée des études pour les étudiants (ce
n’est qu’avec au moins un master que pour être recruté par une entreprise ou en
créer une, une carte de 4 ans sera possible). Seules pourront se voir attribuer
dès la première demande une carte pluriannuelle valable 4 ans des personnes,
ainsi que leurs conjoints et enfants, figurant dans une liste de 9 catégories de
talents et compétences, aussi détaillées que le nombre de personnes concernées
est faible.
Mais avoir une carte pluriannuelle, ce n’est être tranquille
pendant plusieurs années. C’est à tout moment que l’étranger doit pouvoir
justifier qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées par la délivrance
de sa carte et répondre aux contrôles et convocations du préfet ! Tout
manquement aux systèmes de contrôles pendant la validité du titre de
séjour pourra être sanctionné par le
retrait de la carte de séjour. Les fonctionnaires territoriaux ne seront pas
seuls à traquer la fraude : un nouvel article « facilite la
possibilité pour l’autorité administrative sous réserve du secret médical,
d’obtenir de certaines autorités publiques et personnes privées énumérées par
la loi des éléments d’information permettant une action préventive et efficace
des manœuvres frauduleuses ou de consulter les données qu’elles
détiennent. ». Les demandeurs d’asile aussi se verront imposer de
résider où l’administration voudra, et les travailleurs sociaux seront
sollicités pour collaborer à leur expulsion s’ils sont déboutés. Surveiller et punir : ces dispositifs
du projet de loi sont liberticides, leur logique est une menace pour les
libertés de tous.
Quant à la carte de résident, elle existera encore, à
condition d’avoir satisfait pendant 5 ans, au moins, aux exigences de l’administration, et d’avoir progressé
assez dans la connaissance de la langue française pour avoir atteint le niveau
2 selon la norme européenne.
On est aux antipodes
des revendications
portées par les collectifs et associations, aux antipodes des appels que nous
avons élaborés ou cosignés ensemble, que ce soit celui d’UCIJ (Unis Contre
Immigration Jetable) ou celui lancé par des organisations parisiennes, rendez-nous la carte de résident, qui a pris une dimension nationale, encore
plus de la revendication de régularisation globale portée par des collectifs de
sans-papiers….
Bien sûr, il y aura la bataille parlementaire, peut-être en
2015…mais qu’en attendre sinon le pire, si on ne parvient pas à rendre plus
audibles nos valeurs et nos propositions pour que la liberté de
circulation et d’installation des êtres humains soient les principes de la
politique et de la loi, dans un France solidaire des peuples du monde ?
Pour que la régularisation de tous et de toutes, qui travaillent, qui étudient,
qui vivent ici, ça devienne le droit et la loi ?
Comment, ensemble, pour y parvenir, travailler à un changement
de cap idéologique et politique, rassembler largement et avec assez de forces,
sur quels mots d’ordres concrets, mobilisateurs, populaires ?
C’est pour en débattre que cette rencontre est organisée.
Peut-être
l’anniversaire de la convention internationale sur les droits des travailleurs
migrants et de leurs familles, que la France ni aucun « pays riche »
n’a ratifiée, pourrait nous donner un repère pour avoir d’ici là des
initiatives communes préparant un ou des évènements le 18 décembre.
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